20/10/2012
LE RETOURNEMENT DEMOGRAPHIQUE, UN ENJEU OUBLIE FACE A LA CRISE ? (3)
Par Bernard Quintreau (membre honoraire du Conseil Economique, Social et Environnemental)
Dans les 2 précédents articles, nous avons replacé les enjeux démographiques dans la période.
Nous avons pointé les 4 problèmes à résoudre.
Nous allons dans ce dernier article voir comment concilier les 3 thèmes qui nous semblent incontournables :
l’emploi, le temps , l’espace.
L’emploi :
C’est dans ce cadre que doivent être abordées de nouvelles approches des trajectoires professionnelles et leur sécurisation : l’usure progressive au travail peut provenir aussi bien de la répétition des mêmes fonctions pendant un trop grande nombre d’années que de la succession de périodes d’emploi courtes, sans lien, en statut précaire et entrecoupées de périodes de chômage. Il importe donc de mettre en place des parcours garantissant à la fois les possibilités de choix, de mobilités professionnelles, et les garanties collectives pouvant assurer cette sécurisation. D’ores et déjà un certain nombre de groupes ont signé des accords pouvant faciliter ce type de démarche : bilans professionnels à intervalles réguliers, et notamment en milieu de carrière, VAE, changements négociés de postes ou de fonctions…
Le principal obstacle au développement de ces politiques tient au fait qu’elles nécessitent une visibilité suffisamment longue que la situation actuelle ne permet guère. Une certitude est cependant acquise : des compétences régulièrement entretenues et un intérêt au travail soutenu permettent de faire face à toutes les évolutions, voire aux ruptures…
Le temps :
Il est bien évidemment au cœur du débat sur les âges. Une meilleure gestion des âges passera forcément par une meilleure gestion des temps, et nous avons, à partir de là, trois mesures du temps, trois horloges à accorder :
-l’horloge des temps collectifs, celle des transformations démographiques, du renouvellement des générations : elle recouvre des dizaines, voire des centaines d’années. Elle devrait rendre indispensables des démarches prospectives ;
-l’horloge du temps de travail : le taylorisme nous a imposé un micro-découpage hebdomadaire, voire quotidien. Les évolutions économiques, technologiques, sociales, devraient nous permettre de poser cette question différemment. Ne devrait-on pas en avoir une vision élargie à l’ensemble de la vie active, permettant une mise en œuvre plus souple et adaptée aux souhaits ou aux possibilités de l’individu aux différents moments de son existence ?
-l’horloge du temps individuel : elle intègre le temps de travail mais aussi beaucoup d’autres temps, ceux de la famille, des loisirs, du militantisme…Il est souhaitable, et certainement possible, d’aller vers un meilleur équilibre entre ces temps, au bénéfice de chacun d’eux.
En effet, la succession des temps individuels, temps courts, est rarement programmée, notamment en ce qui concerne le travail, même s’ils s’intègrent dans le temps long d’une vie professionnelle. Il s’agit le plus souvent d’un enchaînement de présents successifs, marqué par l’emploi ou le chômage, une formation ou une reconversion, souvent gérés dans l’urgence et rarement inscrits dans une perspective de progrès. De plus, à chaque période, à chaque âge, à chaque statut, correspondent des mesures et des dispositifs particuliers, sans lien entre eux, avec des logiques et des règles de financement différentes. A l’individu d’essayer d’assurer un minimum de cohérence. Il est évident que ces systèmes sont alors facteurs d’exclusion sociale et de développement des inégalités.
La meilleure gestion des âges, et pour chacun de son propre âge, est ici indispensable. Elle induit la possibilité d’avoir, tout au long de sa vie, des possibilités de choix, de réorientation, de « respiration » : se former, prendre un congé sabbatique, créer une entreprise, monter un projet humanitaire devraient être des droits garantis collectivement. Ce sont certainement les meilleurs antidotes à un vieillissement accéléré et mal vécu…La « vie à trois temps » (formation-travail-retraite) n’est souvent plus qu’un mythe mais un mythe qui a la peau dure, notamment dans l’inconscient collectif, pour lequel la déstandardisation des itinéraires de vie ne sont que des incidents de parcours. Le changement de culture sera là aussi long et difficile…
L’espace
La gestion prévisionnelle des âges concerne, nous l’avons vu, les entreprises, les branches et les individus eux-mêmes. Elle concerne aussi, et presque surtout, les lieux d’exercice des métiers, ceux aussi des choix personnels. Le retournement démographique touchera l’ensemble des pays européens, à des échéances et à des degrés divers. Une certitude cependant et un point commun à tous s’affirme : les zones rurales, les villes petites ou moyennes connaîtront plus de difficultés que les grandes agglomérations. En effet, dans les régions peu urbanisées, la population déjà âgée va anticiper le vieillissement général de la population active, et les migrations internes marquées par le départ des jeunes les plus qualifiés vers les grandes villes va encore accélérer cette tendance.
En 2020, seule la région parisienne verrait la génération entrant sur le marché du travail(20-29 ans) demeurer supérieure à la génération sortante(55-64 ans). Si nous prenons en compte l’échelon départemental, et toujours en 2020, seuls 11 départements, dont 8 départements franciliens, seraient encore en positif
Ce phénomène n’est pas propre à la France mais il y est accentué par une centralisation qui perdure. Il est d’autant plus inquiétant que cet aspect quantitatif s’accompagne d’un élément plus qualitatif, celui du niveau de formation : 29% des hommes et 34% des femmes de 25 à 34 ans ont un titre de l’enseignement supérieur en France. Ces proportions sont respectivement de 41 et 47% pour la région parisienne !
Les mêmes disparités se présentent, à une échelle moindre, au sein des régions et des départements, et le risque est fort de voir les activités à forte valeur ajoutée se concentrer dans les grandes villes, là où est la matière grise.
Le scénario induit par ces évolutions n’est cependant pas inéluctable, et quelques actions en cours montrent que d’autres pistes sont possibles, précisément par la gestion prévisionnelles des emplois et des âges sur les territoires, associant l’ensemble des entreprises quelle que soit leur taille. Le maintien de tissus économiques locaux, basé sur la vitalité de réseaux d’entreprises, est à ce prix.
Le retournement démographique n’est pas un cataclysme, un événement brutal qui modifierait du jour au lendemain la situation du marché de l’emploi . Il s’agit d’une évolution lente, ce qui devrait permettre de l’anticiper et de l’accompagner. Ses échéances et ses formes sont diverses, en fonction des métiers, des entreprises, des régions, des bassins d’emploi…Cela peut relativiser la seule annonce de son impact au plan national mais non à ces différents niveaux . Ces perspectives obligent justement à en avoir une approche très fine dès maintenant, partout où des actions sont possibles. Ce processus amène surtout, comme nous avons essayé de le montrer ci-dessus, à mettre le travail au coeur des débats, de l’entreprise jusqu’au niveau national, et à s’interroger sur son exercice. L'approche immédiate et à court terme des effets de la crise sur l'emploi par des mesures ciblées est nécessaire. Elle ne doit pas occulter une réflexion et des actions sur cette évolution de longue durée.
01:11 Publié dans emploi, jeunes, retraités, Solidarités intergénérationnelles | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : bernard quintreau
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