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28/09/2014

La longévité, un levier pour la double transition énergétique et démographique

Réussir la double transition écologique et démographique compte pour un défi majeur à relever. La société de la vie plus longue invite à sortir du cadre, à réfléchir autrement sur les conditions de la production de richesses et sur les conditions du vivre-ensemble.

Transition écologique et démographique sont très largement liées. Une approche commune et féconde qui conduit à une pensée politique de la longévité.

Face au vieillissement et à la diminution des marges d’interventions publiques, l’enjeu est d’imaginer et d’inventer une société ”plus durable”, en cohérence avec l’avancée en âge. Après tout ceux qui inventent le développement durable ce sont les vieux puisqu’ils ils vivent plus longtemps ! Ils durent plus longtemps… Eux mêmes nous prouvent que cette société durable existe. Le système publicitaire, base du modèle économique, préférerait, d’une certaine façon, une démographie où on disparaitrait vers 50 ans, parce que du coup les nouvelles générations se renouvellent, achètent des machines à laver, des frigos… Alors que les générations qui vivent plus longtemps conservent les produits plus longtemps, consomment moins, savent mieux décrypter le boniment commercial…


Au-delà de l’espérance de vie, le fait de vivre plus longtemps a et aura des effets sur la durée de vie de l’ensemble des objets produits. Le monde de la production et le domaine du marketing devront s’adapter à cette nouvelle donne. La logique de l’obsolescence programmée s’affronte à celle du pouvoir d’achat, de la culture du recyclage et de l’évolution des repères temporaux liés à longévité. L’allongement de la vie est bien la marque d’une transformation de la société et de la nécessité de s’inscrire dans une réflexion autour d’une économie qui se développerait sans s’appuyer sur une croissance quantitative sans âme et sans avenir. Une société de la vie longue implique aussi d’inventer des circulations plus douces, plus lentes, pour permettre à ces personnes de conserver leur autonomie. Ces circulations contribuent à préserver la santé des personnes concernées comme les ressources de la terre. Loin de privilégier les seuls âgés, cette approche concerne l’ensemble de la population. Personne n’est perdant à ce que les marches pour monter dans les bus soient supprimées !

La seniorisation de la société marque cette deuxième transition démographique que nous vivons. Il ne s’agit plus de la diminution de la fécondité liée à l’enrichissement des ménages et la baisse de la mortalité infantile, mais de l’allongement de la vie en raison de la diminution de la mortalité des âgés. Cette nouvelle mutation implique des effets économiques, sociaux et sociétaux. Les seniors d’aujourd’hui invitent à réfléchir à une société ou la production de richesses ne dépende pas seulement des personnes en emploi. Le retraité qui fait pousser des tomates dans son jardin ne les produit pas seulement pour lui, mais aussi pour ses proches, ses voisins, peut-être même en vend-il quelques unes. Ou encore il fait du troc. Environ 15 % des fruits et légumes consommés en France échappent totalement au marché ! De même, celui qui au lieu d’acheter une table, la fabrique, souvent à partir de matériaux de récupération, pratique l’économie circulaire sans le savoir.. Dans les deux cas, il n’y a pas de « travail officiel » et pourtant, il y a bien de création de « valeur » comme disent les économistes. Mais elle ne se mesure pas dans les statistiques. Potentiellement, il y a ainsi 15 millions de retraités qui sont en activité, même s’ils ne sont pas en emploi. Ajoutez les cinq millions de chômeurs, dont la plupart ne restent pas les bras croisés, les étudiants, les femmes au foyer… Cela fait du monde ! L’un des défis majeurs qui nous attendent tient aux moyens de valoriser, soutenir les activités hors travail qui contribuent au développement soutenable de la société. Comment mieux organiser la vie de travail et la vie d’activité ? Il y a ici, une notion féconde

La double transition nécessite un regard global. Reprenons l’exemple de notre jardinier. Produisant une partie de son alimentation, il gagne en pouvoir d’achat et dispose de fruits et légumes de bonne qualité et exempt de pesticides. Il a donc contribué à moins polluer tout en étant, sans doute, incité à manger plus sainement et à encourager ses proches à faire de même. Il pratique une activité physique, ce qui est important pour sa santé et la meilleure façon de contribuer à lutter contre les risque de chute ou l’obésité. Le jardin peut servir de support à des échanges et des relations avec les voisins… Pour saisir ces dynamiques complexes, la Nobel d’économie Elinor Olstrom parlait de polycentricité.

En plus, c’est joli un jardin, les voisins apprécient. Je me souviens avoir visité un jardin partagé situé dans un quartier social, La Roseraie, et animé par la Régie de quartier d’Angers et réalisé avec des résidents d’une maison de retraite. C’est la beauté du jardin qui était cité en premier par les enfants et les voisins interrogés. Mais le jardin favorisait aussi la rencontre des différents habitants du quartier avec les personnes âgées.

Enfin, une société plus soutenable implique de faire évoluer le regard sur les personnes, en particulier les plus fragiles. De la personne qui fait son jardin, construit un meuble ou améliore un habitat, on ne parle plus du retraité, du chômeur ou de la personne en déficit d’autonomie, mais du jardinier, de l’artisan, du bricoleur… C’est celui qui fait pousser de bonnes tomates, réussi un belle table ou fait gagner des mètres carrés ou du confort. Pour l’estime de soi, c’est tout de même pas mal ! Tout cela a des effets positifs, d’abord sur la santé. Et cela jouera aussi sur le déficit de la sécurité sociale puisque la consommation de médicaments et d’actes de soin s’en trouve réduite, libérant donc des moyens publics. Cette dynamique positive, en favorisant la limitation de la consommation, y compris médicale, contribue à la préservation des ressources de la planète. Là encore, on voit bien le lien entre transition écologique et transition démographique.

Serge Guérin, Professeur à l’ESG-Management School, publié dans Alternatives économiques de fin août

Dernier ouvrage : « La solidarité ça existe… Et en plus ça rapporte ! »

http://alternatives-economiques.fr/blogs/guerin/2014/08/24/la-lo...

article paru dans Orgris

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