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22/10/2020

La luciole


Voici une « nouvelle » écrite pour le concours de ma médiathèque. Le thème était celui de l’automne gourmand et des circuits courts...je m’en suis affranchi. Bonne lecture, ça fait 6 pages


Rollancourt, mars 2020.


Ce n’est pas une vie. Signer un papier pour sortir, je n’ai même pas d’imprimante. Je ne peux plus aller voir mes copains prisonniers dans leur maison de retraite. Ils appellent ça le confinement. Avant je ne voyais per-sonne et maintenant, ils viennent me faire, tous les jours, la leçon. « Vous n’avez besoin de rien? Il faut boire Monsieur ». Ma réponse, en remplissant mon verre de rosé, est toujours la même : « j’ai pas soif ».
Quel printemps! Je n’en peux plus de cette télé qui me réduit tous les jours à une - personne à risques - mais j’ai toute ma vie été un risque... pour l’école, mes patrons, et même le syndicat. L’épidémie, je connais, en1969, la grippe a fait 20 000 morts en un mois, elle venait déjà de Hong Kong, les anciens du coron où j’habitais, sont morts avec des toux atroces, alors ça m’énerve ces gens qui parlent de complot. Les épidémies sont toujours graves pour les pauvres et les fragiles, c’est sérieux, je veux un masque! « Pourquoi? tu ne vois personne dit, rigolard, le maire.. j’te vois que j’lui réponds! ». Oui, ça me rend irritable. Je ne suis pas libre et c’est insuppor-table. Ils ont même fermé les écoles, ce n’est pas bien de cibler ainsi les jeunes et les vieux, c’est les montrer du doigt comme dangereux pour les autres. Mais bon, la fermeture de l’école m’a rapproché, encore plus, de la petite voisine.
La pauvre, enfermée chez elle, c’est un enfer. Avec toutes ces targnioles que lui donne, sans raison, le gros fainéant qui couche avec sa mère. Cette ma-man qui ne s’en sort pas avec les devoirs et leçons. Une maman c’est pas fait pour ça.
- Va voir le vieux, ça te changera les idées et il te donnera un bout de pain. Le vieux, c’est moi. Ça me rend heureux de voir la petite ouvrir le portillon et dans un sourire lumineux me dire, à moi, rien qu’à moi: « bonjour Papito »...
Aujourd’hui, la fillette s’est précipité vers le potager, direct le parc de ca-rottes, et de choisir la plus appétissante. La carotte c’est spécial. Son feuil-lage est ciselé, dentelé, transpire les vitamines et le soleil. Dans un tour de mains, elle a vite fait de séparer les fanes, et c’est à pleines dents qu’elle croque le tubercule si nourrissant.
- Manges-en autant que tu veux, tu auras bonne mine et resteras jeune et aimable, prends aussi une grosse tomate cœur-de-bœuf.
- Que ça sent bon les feuilles de tomates, dit elle en odorant les mains par-fumées.
- Toi tu n’as pas mangé. Pas de cantine, pas de repas, et de marmonner que ça ne devrait pas servir à ça, l’école.
- Le frigo est vide, maman elle pleure. Moi je veux retourner à l’école, c’est pas juste.
- Allez, entre donc, on va casser une petite croûte.
Je sors un quignon de pain au levain, ce n’est pas suret le levain, le boulan-ger du village travaille encore à l’ancienne... c’est un artisan, il met la main à la pâte, lui. Je soulève le bol posé sur l’assiette au centre de la table et dé-couvre quatre petits chèvres cendrés du Val d’Authie, la petite connaît, elle aime m’accompagner chez Thierry regarder, pendant des heures, les che-vrettes et le bouc aux majestueuses cornes en forme de lyre.
- Allez régalons nous, dis-je en versant un verre de rouge. Toi, va chercher ton sirop d’orgeat et un yaourt, n’oublie pas la cassonade. Ce fut un festin, la petite dévora deux crottins et moi un beau bout de lard cuit aux herbes avec des tomates à la croque-au-sel. Plus c’est simple, plus c’est bon.
- Demain après midi, nous irons au marché fermier d’Ambricourt, mais pour l’instant je fais une petite sieste, va chercher tes cahiers, on verra ça tout à l’heure.
Quand je rouvre les yeux, la petite joue dans la barque. Oui, au bout du jar-din coule une rivière, le Pinchon. Dans la barque toujours amarrée, avec la Petite, nous pêchons de beaux rotengles aux nageoires aussi roses que les carottes. Quand les canards et les cygnes n’ont pas nettoyé le coup, les carpes arrivent, et là, c’est la fête aux élastiques tendus à mort, « vite, prends l’épuisette, oui bien à plat, attends je la ramène, elle est bien fatiguée ». Une caresse de la Petite sur le dos de la carpe miroir et vite nous lui ren-dons sa liberté.

C’est la fin de l’été, l’automne sera gourmand. Matin et soir nous cueillons les haricots rames et des scaroles au cœur bien pommé. Le virus semble avoir inoculé autour de nous une belle dose de bon sens. Chacun se prend à jardiner, à vouloir élever ses poules ou privilégier une alimentation de qua-lité et de proximité. Certains ont même découvert qu’il était très facile de composer un menu cent pour cent Sept Vallées.
Je ne sais pas si c’est bien raisonnable mais j’ai décidé de réunir mes proches pour un repas sous le saule pleureur, ils garderont leurs distances. Je hume, en cachette, la grande corbeille de pommes, poires, potimarrons, radis noirs des fermes amies des Hayettes, Sainte Brigitte, Huré, Leduc, qui trône au centre de la table dépourvue de nappe, nous devons laisser nos traces sur le mobilier qui nous accompagne souvent pour le meilleur. Dans le fait-tout de fonte noircie mijotent les légumes d’Alisse autour d’un jarret de Salers du Marais, cela sent la cuisine de Grand Mère. D’autres auraient mis la ventilo de la hotte mais ici pas question de perdre la saveur, les sen-teurs, le toucher... les sens toute une vie célébrés. Une âme charitable, cer-tainement ce vieil ami aux papilles épicuriennes, avait monté une assiette de petits chèvres du Val d’Authie accompagnés du pot de miel, le vrai, celui de Rollancourt avec ses reflets étincelles d’or, une salade assaisonnée au vi-naigre de sirop d’érable, et ... une bouteille d’un coteau anonyme dénichée avec cet amour unique des vieux potes dans les caves du vieux chai près du château de Fressin.
Je ne sais plus combien nous étions, c’était bien, autour du braséro d’Emile, la Petite grillait des chamallows. Comme à chaque veillée, quand nous comptions les avions filant sud-nord, elle se moqua une fois encore : « eh Papito, c’est un feu d’artifice d’étoiles filantes et regarde y’a même tes spoutniks, tu sais ceux qui ne scintillent pas ».

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Ils sont trop gentils! Comme je toussais un peu beaucoup, ils m’ont « placé » à l’hôpital des vieux. Assis dans un fauteuil roulant, une grosse couver-ture sur les genoux, j’ai rejoint le cercle des inutiles, à droite une vieille ronfle, à gauche un dingue parle à sa mère qui doit être vraiment méchante. A 18 heures, ils me poussent vers le réfectoire, à table, je dois réclamer mon verre de rouge accompagné de son si dégradant: « c’est pas sérieux, Papy, vous êtes malade ».
J’ai gagné la guerre du portable. Ils me l’avaient confisqué car ils avaient peur que j’importune la famille. « Y’a déjà eu des cas... ». A force de les harceler et encore plus suite à l’esclandre devant l’adjointe aux personnes âgées, j’ai eu droit à mon iPhone. Avec cette histoire je me suis fait un co-pain, à deux nous avons toujours un tel sous la main et on se fait de longues séances de vidéos, on se marre comme des gamins.
Après le repas, j’envoie un sms à la petite, comme tous les jours.
# Comment vas-tu ma Grande? # Bien, et toi Papito # Bien # T’es sûr? # Oui, t’en fais pas pour moi. Je t’embrasse, appelle moi demain #
Chaque soir, c’est mon moment de bonheur, mais ensuite c’est de plus en plus difficile. J’ai mauvais caractère.
Depuis une semaine mon pote a chopé la Covid. Ce matin il est mort tout seul, sa fille n’a pas pu venir à son chevet. Ne pas tenir la main de son père ou de sa mère pour l’accompagner dans ses derniers instants, je trouve cela inhumain. Paraît il que c’est pour protéger ceux qu’on aime, résultat c’est encore plus l’horreur pour ceux qui nous aiment. Mourir sans ses amours, sans ami, ça me fait vomir. D’ailleurs avec l’infirmière et la femme de mé-nage, nous avons pleuré comme des madeleines, en se serrant les mains, tout au fond du couloir. C’est interdit! ose le Directeur, question hygiène. « Quand l’hygiénisme passe avant l’humanisme... lui ai je murmuré ». Je n’en peux plus.
Je n’en peux plus.
Je crois que je vais mourir ici et elle l’a compris.
Au petit matin, j’entends un chat griffer à la porte. C’est la Petite. « Viens Papito, on s’en va »
Elle a tout prévu. Nous nous sauvons avant le lever du jour et le bus nous emmène. Dans son panier, le pic-nic est prêt. Sur la plage, nos quatre pieds enlacés frissonnent sous les caresses chaudes des vaguelettes.

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Les gendarmes les ont retrouvés.
Cette nuit, Papito, serein, a quitté ce monde, ... on dit que dans le ciel de Rollancourt, une petite Luciole lui tenait la main.






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